3.1 Introduction
Le calcul des probabilités est la théorie mathématique, donc fondée axiomatiquement, qui permet de modéliser des phénomènes aléatoires, ou non déterministes.
De tels phénomènes sont bien représentés par les jeux de hasard dont l’étude a initié le calcul des probabilités. Considérons le cas du jeu de dés ; lorsqu’on jette un dé on est certain qu’il va tomber sur la table (phénomène déterministe), mais on n’est pas capable de prédire la valeur qui va sortir (phénomène aléatoire).
Un phénomène déterministe est un phénomène dont on peut prévoir le résultat ; les lois de la physique classique sont des modèles permettant de prédire le résultat d’une expérience donnée. La loi d’Ohm permet de prédire la valeur de l’intensité du courant connaissant la résistance et la tension aux bornes. Les lois de la physique mettent en évidence une régularité qui permet de prédire les résultats d’une expérience lorsqu’on contrôle les causes.
Les phénomènes aléatoires exhibent un autre type de régularité. Prenons le cas des lois de Mendel. Mendel était un biologiste qui étudiait les résultats du croisement de deux espèces de plantes ; plus précisément, il étudiait la transmission de caractères comme la couleur, l’aspect, etc. Une observation typique de régularité d’un nouveau type est d’observer que, sur une série suffisamment grande de croisements de deux espèces A et B, on observait par exemple, dans 1/4 des cas, les caractères de A, et dans 3/4 des cas, les caractères de B. Une telle régularité fréquentielle a donné lieu à ce qu’on appelle les lois de Mendel. Cette régularité permet de prédire la fréquence d’apparition d’un phénomène, ce qui est plus « faible » que la prédiction déterministe. L’étude et la modélisation de tels phénomènes (la recherche de lois) est le champ d’application du calcul des probabilités.
3.2 Expérience aléatoire, ensemble fondamental et événements
- Expérience aléatoire
- On s’intéresse ici aux seules expériences dont le résultat n’est pas prévisible, les expériences aléatoires. Une expérience aléatoire est aussi appelée une épreuve.
- Ensemble fondamental
- Pour une expérience aléatoire donnée, l’ensemble des résultats possibles est appelé l’ensemble fondamental, que nous noterons E dans la suite du cours. Chaque résultat d’expérience est un point de E ou un élément de E.
- Evénement
- Un événement A est un sous ensemble de E, c’est-à-dire un ensemble de résultats.
L’événement {a}, constitué par un seul point de E, donc par un seul résultat , est appelé événement élémentaire.
L’ensemble vide Ø ne contient aucun des résultats possibles : il est appelé événement impossible.
L’ensemble E contient tous les résultats possibles : c’est l’événement certain.
Si E est fini, ou infini dénombrable, tout sous-ensemble de E est un événement ; ce n’est pas vrai si E est non dénombrable (ceci sort du cadre de ce cours).
On note parfois Ω l’ensemble de tous les événements. - Exemples
-
- On jette un dé et on observe le résultat obtenu. L’ensemble fondamental est formé par les 6 résultats possibles :
E = {1, 2, 3, 4, 5, 6}
L’événement correspondant à l’apparition d’un nombre pair est A = {2, 4, 6}, qui est bien un sous ensemble de E.
L’événement correspondant à l’apparition d’un nombre premier est B = {1, 2, 3, 5}, et l’événement correspondant à l’apparition d’un 3 est C = {3}. - Dans l’exemple précédent E était fini et donc dénombrable ; E peut être infini dénombrable comme dans le cas suivant. On jette une pièce de monnaie jusqu’à ce qu’on obtienne pile ; l’ensemble fondamental correspondant est la suite des nombres entiers E = {1, 2, 3, …, n, …} puisqu’on peut avoir un pile au bout d’un jet, de 2 jets, de n jets, n étant aussi grand que l’on veut.
- On vise avec une fléchette une cible suffisamment grande ; si on admet que la fléchette est très fine, comme le serait un point de la géométrie, l’espace fondamental est la surface de la cible qui est constituée de points et donc infinie et non dénombrable.
- On jette un dé et on observe le résultat obtenu. L’ensemble fondamental est formé par les 6 résultats possibles :
3.3 Opérations sur les événements
Les événements peuvent se combiner entre eux pour former de nouveaux événements. Si A et B sont deux événements, les opérations de combinaison sont :
- est l’événement qui se produit si A ou B (ou les deux) est réalisé.
Il est parfois noté ou A ou B. - est l’événement qui se produit si A et B sont réalisés tous les deux.
Il est parfois noté ou A et B. - est l’événement qui se produit quand A n’est pas réalisé. On l’appelle aussi négation de A.
Il est parfois noté « », ou .
- Evénements incompatibles
- Quand deux événements A et B sont tels que , ils ne peuvent être réalisés simultanément. On dit qu’ils s’excluent mutuellement, ou qu’ils sont incompatibles.
- Système complet d’événements
- On dit que les événements A1, A2, …, An forment une famille complète si les Ai constituent une partition de E, c’est-à-dire si :
- les événements sont deux à deux disjoints :
- ils couvrent tout l’espace :
- Exemple
- Reprenons l’exemple précédent du jeu de dés :
E = {1, 2, 3, 4, 5, 6}, A = {2, 4, 6}, B = {1, 2, 3, 5}, C = {3}.
= apparition d’un nombre pair ou premier
= apparition d’un nombre pair et premier
= apparition d’un nombre autre que 3
: A et C s’excluent mutuellement. -
3.4 Règles du calcul des probabilités
Soit un ensemble fondamental E. Nous introduisons une fonction Pr qui, à tout événement A, associe un nombre réel positif ou nul.
Pr est dite fonction de probabilité, et Pr(A) est appelée probabilité de l’événement A, si les conditions ou règles suivantes sont satisfaits :
- pour tout événement A : une probabilité est positive ou nulle
- : la probabilité de l’événement certain est 1
- : permet le calcul de la probabilité de la réunion de deux événements disjoints
- Soit un ensemble dénombrable (fini ou non) d’événements Ai deux à deux disjoints (), alors .
Cette quatrième condition est proche de la troisième. Elle ne peut cependant pas s’en déduire dans le cas d’un ensemble d’événements infini dénombrable.
Propriétés importantes déduites des quatre conditions précédentes :
Soit A un événement quelconque. A et Ø sont évidemment disjoints puisque ; donc . Or ; donc . D’où .
A et son complémentaire sont disjoints, et leur réunion forme E, de probabilité 1. Donc . Toute probabilité étant positive ou nulle, on obtient bien .
A démontrer en exercice, en notant que .- Si , alors .
A démontrer en exercice, en notant que .
A démontrer en exercice, en remarquant que .
A démontrer en exercice, en remarquant que .
3.5 Remarque
Alors que , il existe des événements non vides qui peuvent avoir une probabilité nulle. Dans le cas d’un ensemble infini non dénombrable, un tel événement n’est pas nécessairement impossible : il est alors dit « presque impossible ».
- Exemple
- Considérons l’expérience qui consiste à choisir au hasard un point sur une feuille de papier quadrillé avec une pointe de compas infiniment fine. La probabilité de l’événement piquer dans un carré donné a une certaine valeur (par exemple celle du rapport de la surface du carré avec celle de la feuille de papier) ; en revanche, si on réduit le carré à un point (carré infiniment petit) la probabilité deviendra zéro alors que l’événement (piquer dans ce carré si petit qu’il est devenu un point) n’est pas impossible.
De même un événement de probabilité 1 peut ne pas être certain. Il est alors qualifié de « presque certain ».
3.6 – Illustration de quelques ensembles probabilisés
3.6.1 Ensemble probabilisé fini
Soit E = {a1, a2, …, an} un ensemble fondamental fini. On probabilise cet ensemble en attribuant à chaque point ai un nombre pi, probabilité de l’événement élémentaire {ai}, tel que :
La probabilité d’un événement quelconque A est la somme des probabilités des ai qu’il contient :
- Exemple
- On jette 3 pièces de monnaie et on compte le nombre de « face » obtenu. L’ensemble fondamental correspondant à cette expérience est E = {0, 1, 2, 3} puisqu’on peut obtenir comme résultat de l’expérience : 0 fois « face » (3 fois « pile »), 1 fois « face » (2 fois « pile »), 2 fois « face », ou 3 fois « face ».
On probabilise cet ensemble fini en donnant une valeur p0, p1, p2 et p3 aux événements {0}, {1}, {2} et {3} ; comme par exemple p0 = 1/8, p1 = 3/8, p2 = 3/8 et p3 = 1/8.
Considérons l’événement A tel qu’on ait au moins 2 fois « face », A = {a2, a3} :
Pr(A) = p2 + p3 = 3/8 + 1/8 = 4/8 = 1/2
3.6.2 Ensemble fini équiprobable
C’est un ensemble fini probabilisé tel que tous les événements élémentaires ont la même probabilité. On dit aussi qu’il s’agit d’un espace probabilisé uniforme.
E = {a1, a2, …, an} et Pr({a1}) = p1, Pr({a2}) = p2, …, Pr({an}) = pn
avec p1 = p2 = … = pn = 1/n
Les jeux de hasard – dés, cartes, loto, etc. – entrent précisément dans cette catégorie :
- jeu de dés : E = {1, 2, 3, 4, 5, 6} ; p1 = p2 = p3 = p4 = p5 = p6 = 1/6
- jeu de cartes : E = {ensemble des cartes d’un jeu de 52 cartes} ; pi = 1/52
- Propriété
- Dans un ensemble fini équiprobable, la probabilité d’un événement A est égale au rapport du nombre de résultats tel que A est vrai, sur le nombre d’événements de E.
- Remarque
- Quand on dit qu’on tire « au hasard », on sous-entend que l’ensemble probabilisé considéré est équiprobable.
- Exemple
- On tire « au hasard » une carte dans un jeu de 52 cartes.
Quelle est la probabilité de tirer un trèfle ?Quelle est la probabilité de tirer un roi ?
Quelle est la probabilité de tirer un roi de trèfle ?
- Remarque
- Le cas des ensembles finis équiprobables est le plus simple à appréhender. Il faut insister sur le fait que l’équiprobabilité n’est qu’un cas particulier des ensembles probabilisés ; ce n’est (de loin) pas le plus utile en médecine.
3.6.3 Ensembles probabilisés infinis
3.6.3.1 Cas dénombrable
On a alors un ensemble fondamental de la forme E = {a1, a2, …, an, …} comme dans le cas fini. Cet ensemble fondamental est probabilisé en affectant à chaque élément ai une valeur réelle pi telle que :
et .
La probabilité d’un événement quelconque est alors la somme des pi correspondant à ses éléments.
- Exemple 1
- A = {a25, a31, a43}
Pr(A) = p25 + p31 + p43 - Exemple 2
- Si on reprend l’expérience consistant à jeter une pièce et à compter le nombre de jets jusqu’à ce qu’on obtienne un résultat « pile » (c’est un espace infini dénombrable), on peut construire un espace probabilisé en choisissant :
Remarque :
Le choix des pi est arbitraire ; en réalité, il est justifié soit par des considérations a priori (dans le cas de l’expérience précédente on suppose que chaque jeté constitue une expérience avec Pr(pile) = Pr(face) = 1/2 et que le résultat d’un jet n’influe pas sur le suivant). Il peut être aussi estimé ; c’est le problème des statistiques qui, à partir de nombreuses réalisations de l’expérience, permet d’approcher les valeurs pi (ce point sera revu dans la suite du cours et constitue l’objet de l’approche statistique).
3.6.3.2 Cas d’un ensemble probabilisé infini non dénombrable
Pour illustrer ce cas, on peut prendre l’exemple de la chute d’un satellite en fin de vie (ce fut le cas, en octobre 1993 pour un gros satellite chinois dont on parla beaucoup dans la presse). Dans l’état actuel des connaissances sur l’orbite de ce satellite, on n’est pas capable de prédire l’endroit de la chute ; l’hypothèse retenue est alors celle d’un espace de probabilité uniforme. Dans ce cas, le satellite a la même chance de tomber dans n’importe quelle parcelle du monde et on peut calculer la probabilité qu’il tombe sur Paris comme le rapport de la surface de Paris sur la surface du globe.
Lorsqu’on se rapprochera de l’échéance, on pourra avoir des hypothèses plus précises, et on pourra prédire par exemple que le point de chute aura un maximum de probabilité dans une région, la probabilité autour de cette région étant d’autant plus petite qu’on s’éloigne de ce maximum.
Il s’agit bien sûr d’un espace infini non dénombrable puisqu’on peut réduire (au moins par l’esprit) la taille de l’élément de la région considérée à celle d’un point. Des probabilités peuvent donc être associées à chaque région de taille non nulle, mais la probabilité d’une chute en un point donné est nulle, puisque sa surface est nulle. Nous verrons dans la suite que les probabilités se calculent généralement à partir d’une densité (de probabilité) associée à chaque point : lorsque les points d’une région ont une densité élevée, la probabilité de chute dans cette région est élevée.