Sujet de la discussion : MedeSpace.Net :: Cas Clinique n°37: Les urines du patient sont vertes

Publié par Administrateur le 22-11-2008 20:29
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1) QUELLE EST LA CAUSE DE LA PIGMENTURIE VERTE ?

Le DIPRIVAN Propofol (2,6-diisopropylphénol) est métabolisé au foie par sulfo et glucuroconjugaison et excrété dans les urines à 90% sous forme métabolisées : - 1 glucuronide diisopropylphénol - 4 glucuronide diisopropylphénol - 4 sulfate 2-6 diisopropyl 1-4 quinol.

Phénols et quinols sont responsables d’une pigmenturie verte

Aucune autre drogue utilisée chez Mr L, ne peut être mise en cause (Intubé sous Hypnomidate, sédaté transitoirement ensuite par Fentanyl et Hypnovel, mis sous Fraxiparine à partir de J2).

D’autres causes de pigmenturies vertes sont : l’ingestion de bleu de méthylène, d’indigo carmine (additif alimentaire ou colorant E132). (Bowling, JAMA)

Dans la littérature le phénomène est déjà décrit :
- Le plus souvent lors d’une utilisation en sédation
- Doses cumulatives importantes sur 3 à 7 jours, le plus souvent isolée et bénigne
- Régresse rapidement après l’arrêt
- 1 cas dramatique chez un enfant (acidose lactique, insuffisance hépatique et défaillance multiviscérale)

En sédation
- 3,8mg/kg/h pendant 11J soit 46 g au total (Hughes, Anaesthesia)
- Après 2 ou 3J (Tirosh, Paediat Anaest 1996, Blakey, Pharmacotherapy)
- Après 4J et 15,7g au total (Bodenham, Lancet)
- 3,5 à 7 mg/kg/h pendant 2 jours avec acidose lactique, rhabdomyolyse, hépatite cytolytique, défaillance multiviscérale (Cray, Crit Care Med)

En anesthésie
- 1 cas après dose d’induction de 2,5 mg/kg (Ananthanarayan, Can J Anaest)

A noter
- 1 cas de coloration verte du foie constatée lors d’une reprise chirurgicale d’ une péritonite après 7 jours de sédation pour une dose totale de 22,5g (Motsh, Eur J Anaest)
- 2 cas de coloration verte des cheveux durant 3 mois après induction anesthésique(Bublin, J Clin Pharm Ther, et Callander, Anaesthesia)

2) QUELLES COMPLICATIONS PEUVENT SURVENIR ?

Toxicité classique des phénols (contextes de TA) : - Neuropathies - Coma - Méthémoglobinémies - Hémolyses - Rhabdomyolyse - Hépatites cytolytiques

Toxicité rare du Diprivan en sédation : - Acidoses lactiques - Hépatopathies de surcharge - Rhabdomyolyse

Notre patient : simple réaction hépatique

- Ascension des transaminases 7x normale à J6, normalisées à J16
- Origine traumatique discutée et écartée du fait du terme
- Pas d’autre toxique ou médicament incriminable, sérologies des hépatites A et B et CMV negatives.
- Myoglobinémie normale à J6
- Pas de méthémoglobinémie, hémolyse, lactacidémie
- Rhabdomyolyse initiale (minime) mise sur le compte du traumatisme

3) QUE FAUT-IL FAIRE ?

L’arrêt simple de la perfusion de Diprivan suffit pour normalisation en quelques heures de la phénolurie confirmant le diagnostic. La recherche ou le dosage des phénols urinaires n’a pas d’intérêt pratique.

Evolution de la phénolurie chez Mr L.

Arrêt du Diprivan :

arrêt à J3 = 80 h, disparition rapide en 36 heures de la coloration verte des urines
Normalisation de la phénolurie en 72h

Doses :

Perfusions de 150 à 300 mg/h, soit 15 à 30 cc/h chez un patient de 80Kg
Dose totale élevée : 22,5g sur 3J, mais il faut noter que les propofolémies dosées à postériori à J1 et J3 étaient respectivement à 1,807 et 1,228 mcg/ml (conformes à un objectif de sédation de niveau 3 de Ramsay = concentrations de 1,5 à 2 mcg/ml)

4) CONCLUSION :

L’interêt du Diprivan en sédation résulte de la réversibilité rapide après arrêt, et de la faible fréquence des effets toxiques. On peut envisager qu’une dose cumulative trop importante entraîne chez certains patient une production massive de phénols, bénigne dans la plupart des cas (simple pigmenturie) mais potentiellement dramatique notamment chez l’enfant ou le sujet en défaillance multiviscérale.

Ceci plaide pour une utilisation limitée aux sédations courtes inférieure à 3 jours, et pour le changement de drogue si utilisation nécessaire de trop fortes posologies. A la suite de ce cas, nous n’utilisons plus le Diprivan en cas de défaillance hépatique ou rénale, d’acidose lactique,ou chez l’enfant.

Source : SFAR