Dentistes low cost : vraie arnaque ou bonne affaire ?
Publié par MedeSpaceNews le Mars 11 2012 20:28:44
Des cabinets dentaires aux tarifs alléchants fleurissent aux six coins de l'Hexagone. Au grand dam de la communauté médicale.Les méthodes de Dr House vous semblent douteuses ? Risquées ? Contraires à la déontologie ? La communauté médicale est exactement dans cet état d'esprit. Elle voit, en effet, d'un très mauvais oeil le développement des cabinets dentaires low cost.

Car depuis plusieurs mois, à grands coups de com', c'est une déferlante de dentistes "nouvelle génération" qui submerge la France entière, de Paris à Marseille en passant par Lyon, Aubervilliers ou Vaulx-en-Velin. Des prix cassés et un objectif qui pourrait paraître noble : "mettre la santé buccodentaire à la portée de tous". Une promesse qui ne peut que séduire les 42 % des Français qui ont renoncé à des soins dentaires en 2011, selon un sondage réalisé pour Santé Magazine.
Rationalisation

Pourtant, ces cabinets font bondir la communauté médicale. Certains y voient même le futur scandale PIP qui pourrait venir éclabousser les dentistes hexagonaux. "Cette nouvelle façon de pratiquer la chirurgie dentaire est scandaleuse ! On parle de médecine, pas de billet d'avion !" s'insurge Christian Couzinou, président du Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes. Un discours partagé par Roland L'Herron, président de la Confédération nationale des syndicats dentaires : "Tout le volet santé publique de notre profession, auquel renoncent les centres low cost, consiste d'abord à mettre les bouches en état avant d'entreprendre la pose d'implants ou de prothèses."

Les centres low cost ont effectivement axé leur communication sur des prix particulièrement bas en matière d'éléments prothétiques. Rien d'anormal jusque-là puisque ce sont les seuls types de soins dentaires dont les prix peuvent être fixés librement. Tous les autres traitements - détartrages, traitement des caries ou extraction de dents - suivent un encadrement très strict : le prix est fixe et ne peut pas être dépassé par les praticiens. Par exemple, la dévitalisation d'une dent est tarifée à 33,74 euros pour une canine ou une incisive, 48,20 euros pour une prémolaire et 81,94 euros pour une molaire.

Problème : ces soins conventionnés font perdre de l'argent aux dentistes libéraux. Du coup, ils se rattrapent avec les prothèses et les implants afin de couvrir ce manque à gagner. Mais pas seulement. Une gestion basée sur la rationalisation du travail à la manière des entreprises privées a vu le jour. Au programme, techniques de vente, management et marketing. Une révolution pour certains, un blasphème pour d'autres. Un homme est à l'initiative de cette méthode : Pascal Steichen. Même s'il n'est pas seul dans ce domaine, c'est bel et bien lui qui cristallise toutes les tensions. Il a d'abord développé ces pratiques en tant que conseiller pour des cabinets libéraux avant de monter lui-même ses propres centres.
"On ne peut pas mélanger les gens"

Cet homme d'affaires originaire de l'est de la France officie depuis près de 30 ans sur le marché dentaire. Consultant, auteur de livres et éditeur de magazines spécialisés, ce quinquagénaire multiplie les casquettes. Et sa vision du secteur est pour le moins détonante.

"On ne peut pas soigner quelqu'un qui a la bouche dégueulasse comme on s'occuperait de Johnny Hallyday. Ce n'est pas être méprisant, c'est la réalité du métier. On ne peut pas mélanger les gens", nous affirme-t-il, sans ciller, poursuivant : "C'est comme dans l'hôtellerie, il y a des Pullman, des Ibis et des Formule 1. Là, c'est pareil : à chacun son spécialiste !" Pour Steichen, "il est indispensable de développer une médecine de spécialisation". "C'est la répétition des actes qui détermine la qualité du soin prodigué. Un cardiologue qui n'a pas ouvert 1 000 coeurs dans l'année ne peut pas être compétent. Les dentistes ne voient pas cette réalité, ils ne savent pas tout faire, mais ils veulent tout faire. Du coup, ils ne savent rien faire vraiment bien !" lance Pascal Steichen.

De la médecine on passe donc au taylorisme, d'Hippocrate à Adam Smith, du suivi médical au travail à la chaîne. Le Point.fr s'est procuré un exemplaire des techniques de Steichen. Et ses préconisations sont édifiantes : évaluation du potentiel des praticiens, augmentation du montant moyen vendu à chaque patient, amélioration de la productivité, fiches d'évaluation des dentistes comprenant le chiffre d'affaires qu'ils rapportent chaque année, pourcentage de prothèses posées, etc.
"Simples exécutants"

Interrogés par Le Point.fr, des chirurgiens-dentistes d'un centre médical mutualiste parisien sont indignés. "Les dentistes ne sont plus que de simples exécutants d'actes médicaux prévus à l'avance ! Ils sont salariés dans ces centres et n'ont pas leur mot à dire. C'est du travail à la chaîne et cela n'a rien à voir avec de la médecine."

D'autant qu'avec la "méthode Steichen" c'est toute un pan de la médecine qui est mis de côté : celui du suivi médical. "Au nom de la rentabilité, les patients n'ont plus le temps de réflexion nécessaire pour avoir un consentement éclairé. Et c'est tout de même la base de notre profession : être sûr que notre interlocuteur décide en son âme et conscience en ayant pleinement compris tous les tenants et aboutissants d'un diagnostic", expliquent les praticiens du centre médical mutualiste. Pascal Steichen rejette toutes ces accusations. "Ceux qui m'attaquent ne peuvent pas croire à ce qu'ils disent. Soit ils sont incompétents, soit de mauvaise foi", lance-t-il, le plus sérieusement du monde.

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